« Bitcoin Pluribus Impar » était un événement universitaire produit en partenariat par Le Cercle du Coin (première association francophone sur le bitcoin et les blockchains) et la prestigieuse Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm.
L’objectif était d’offrir au public un autre regard sur le bitcoin, à travers les points de vues d’orateurs divers :
- des mathématiciens, informaticiens et cryptologues,
- des spécialistes réputés issus des sciences sociales les plus variées (numismate, historien, philosophe, économiste, juriste),
- mais aussi un gendarme et un haut-fonctionnaire.
Introduction – Présentation de la séance et de ses ambitions :
Christian Lorenzi, directeur des études de l’Ecole Normale Supérieure, a souhaité la bienvenue à tous et souligné l’utilisation croissante de Bitcoin; un tel engouement justifie l’organisation de cet événement !
Jacques Favier (normalien, secrétaire du Cercle, auteur du blog “La Voie du Bitcoin” et co-auteur de “Bitcoin, la monnaie acéphale“), a remercié tous les intervenants ayant rendu cet événement possible et présenté l’association Le Cercle du Coin. Face à l’ampleur du phénomène Bitcoin, la seule description ou critique ne suffit plus, d’où le choix d’organiser une rencontre transdisciplinaire autour de la monnaie décentralisée, car, avant le concept même de blockchain, Bitcoin en est le “jeton” numérique endogène et précieux.
Adrian Sauzade (Trésorier du Cercle et co-fondateur de czam.me) a présenté le concept de transaction numismatique, mis au point pour marquer l’événement : une transaction symbolique contenant le hash[1] d’une photo de l’assemblée et d’un morceau de musique joué pour l’occasion afin d’offrir aux participants l’équivalent d’un euro symbolique en bitcoin.
D’où vient la valeur de Bitcoin ?
Ricardo Perez Marco :
– Normalien, directeur d’études au CNRS et à l’Institut de Mathématiques de Jussieu –
R. Perez Marco a introduit le protocole Bitcoin en partant des mots de son inventeur Satoshi Nakamoto : “Bitcoin : a peer-to-peer electronic cash system“, c’est-à-dire un système d’argent liquide numérique et pair-à-pair. Bitcoin est de l’or électronique : son modèle est basé sur l’extraction du métal précieux, mais sans autorité centrale, et totalement open source. Il a rappelé les caractéristiques d’une blockchain publique, registre incorruptible. C’est une trust machine comme le titrait le magazine The Economist : une machine à confiance et à consensus.
La valeur est une notion subjective. Quand on parle de valeur monétaire, il s’agit d’une notion sociale de la valeur : un large consensus autour de la monnaie au sein d’un réseau d’êtres humains. Il y a deux manières d’obtenir un consensus dans ce domaine : par la foi, ou par des propriétés physiques et mathématiques irréfutables.
La valeur de la monnaie fiat qui a cours légal et forcé est basée sur la foi; celle de l’or sur ses propriétés physiques. Quant à la valeur de bitcoin, elle repose sur les mathématiques. Ce sont elles qui préviennent la triche, tout comme les propriétés physiques dans le cas de l’or.
Tout peut être utilisé comme monnaie : la distinction entre la mauvaise et la bonne monnaie est une question de confiance. L’argent est une notion abstraite dont les propriétés déterminent l’existence. La confiance en un système monétaire vient entre autres de la capacité qu’il donne à son utilisateur à dépenser dans le futur.
Quelles sont les propriétés de la bonne monnaie ?
- elle est difficile à falsifier,
- elle est facile à authentifier,
- elle est facile à diviser,
- elle est facile à transporter,
- les paiements sont rapides,
- le support utilisé est rare,
- le bon argent est international,
- elle préserve ou augmente la valeur au cours du temps,
- son cours est peu volatile (c’est le défaut de Bitcoin),
- elle est fongible,
- il y a une masse critique d’utilisateurs,
- elle est liquide,
- elle est facile à sécuriser,
- elle est anonyme,
- elle est décentralisée,
- le bon argent est “inutile” : il ne sert qu’à payer,
- elle est anti-fragile[2],
- elle peut être utilisée sur des canaux peu fiables,
- enfin, la “bonne” monnaie est… programmable !
Jean-Joseph Goux
– Docteur d’Etat en philosophie –
J-J. Goux a cité en introduction la phrase de Turgot qui a inspiré Adam Smith :
Une monnaie de pure convention est une chose impossible.
C’est une phrase souvent utilisée par les détracteurs du bitcoin. Pourquoi est-ce impossible ? Car on ne peut prendre comme commune mesure des valeurs que ce qui a une valeur. C’est pour cela que les métaux précieux se sont longtemps imposés comme support principal de la monnaie.
Avec l’innovation, une monnaie de pure convention devient possible : nous sommes ainsi passés par les billets de banque et nous vivons désormais l’avènement des monnaies numériques. La monnaie est ainsi réduite à un signe; mais c’est avec Bitcoin que la monnaie de pure convention arrive vraiment.
Pour les économistes classiques, la monnaie doit avoir une valeur intrinsèque ou reposer sur une réserve quelconque. Ce qui est mesurable a un prix, déterminé par la loi de l’offre et de la demande, le reste n’est que supposition. La valeur d’une chose est donc son prix à l’instant t. Mais comment une valeur peut-être attribuée à un simple signe ?
Par l’inconvertibilité ! Plusieurs pays ont tenté l’expérience. J-J. Goux prend l’exemple du Dollar, dont la convertibilité en or fut abandonnée en 1971, sous la présidence de Nixon. C’est cet événement majeur de l’Histoire qui met fin à la monnaie basée sur une réserve de valeur et lui donne une existence électronique.
J-J. Goux note que les langues sont faites de signes conventionnels dont la signification est stable : une langue est une convention, la nature des signes utilisés étant peu importante. Tout ceci peut se transposer à la monnaie. Les notions de consentement collectif et de conscience mutuelle deviennent donc très importantes :
La monnaie a de la valeur parce que tout le monde pense qu’elle en a.
Le bitcoin n’est plus très loin ! Il suffit de trouver des protocoles et des procédures qui tiennent à la différence entre le signe linguistique (se transmettant à tous) et le signe monétaire (ne se cédant qu’une seule fois).
Les échanges qui ont clos cette première partie ont mis en exergue la “pureté” mathématique et philosophique de Bitcoin : c’est la solution à un problème mathématique qui crée le consensus, donc la confiance. Bitcoin devient possible car les fondements de l’origine de la valeur n’ont plus d’importance. On sait que masse et énergie sont intimement liées : l’analogie entre la masse de l’or et l’énergie dépensée pour miner du bitcoin saute aux yeux.
De quoi est fait le bitcoin ?
Jean-Paul Delahaye
– Mathématicien et professeur d’informatique à Lille 1 –
S’il y a un côté matériel qui n’est pas subjectif dans Bitcoin, il est avant tout constitué d’une substance abstraite : le calcul. Tout comme la quantité d’or disponible sur Terre est bornée, dans le cas de Bitcoin, on ne peut mener en un temps donné qu’une quantité finie de calcul. Le minage établit donc une proportionnalité entre la puissance de calcul et les bitcoins gagnés par le mineur. La distribution des bitcoins est comparable à celle de l’or en ce sens qu’elle produit cette confiance.
J.P. Delahaye a ensuite mentionné la complexité de Kolmogorov qui stipule qu’un objet numérique a un contenu incompressible en information, ainsi que la loi de croissance lente : dans un dispositif évoluant de manière déterministe, la profondeur logique croît très lentement, ainsi que le contenu en calcul d’un objet. C’est le contenu en calcul qui détermine quelle est la chaîne valide en cas de fork.
Les méthodes alternatives à la preuve de travail pour construire une blockchain furent évoquées, ainsi que certains des problèmes de Bitcoin, notamment l’incapacité “sociale” des développeurs à se coordonner quant aux prises de décision, comme augmenter la taille des blocs.
Bitcoin est bien de l’or numérique, mais il circule beaucoup plus facilement que ce dernier, grâce aux réseaux.
Marc Bompaire :
– Archiviste-paléographe, directeur de recherches au CNRS, chaire de Numismatique à l’EPHE, directeur de la Revue Numismatique –
Bitcoin, qui est fait de calcul, est-il un objet de collection ?
M. Bompaire a souligné l’intérêt des numismates pour le bitcoin, et évoqué le British Museum qui possède un bitcoin exposé sous la forme d’une représentation physique (gravure des clefs cryptographiques sur une pièce).
Dans la Revue Numismatique, la création de bitcoins fut comparée à la fonte privée des monnaies chinoises. Ce parallèle est pertinent : Bitcoin nécessite des calculs et de l’électricité, fournis via les fermes de minage. M. Bompaire a précisé que l’ancrage physique de la monnaie dans un espace régalien de souveraineté est une fragilité.
Bitcoin évoque le retour à la valeur physique et les points de comparaison avec l’or sont nombreux : tout comme le métal précieux, la quantité de bitcoins est finie, il n’est donc pas possible d’utiliser le mécanisme de la planche à billet pour créer de la monnaie. Dans quelle mesure cette comparaison est-elle terme à terme ou bien analogique ? C’est l’Histoire qui peut nous éclairer.
Si l’Antiquité fut le règne de la monnaie lingot, le Moyen-Âge vit se développer la monnaie signe. Il faut donc une monnaie lien entre la monnaie “réelle”, matérielle, et la monnaie de compte, signes présents dans les registres comptables. M. Bompaire nous parle ensuite des représentations véhiculées par les monnaies. Ethymologiquement, nomisma, la monnaie, vient de nomos, la Loi. La notion d’ordre est donc bien présente. Au Moyen-âge, les hosties avaient la dimension des deniers et les types monétaires faisaient la part belle au souverain.
Les pièces de monnaies sont plates, afin de pouvoir les empiler; et rondes, afin de pouvoir rouler, circuler, se diffuser.
S’il y a des éléments de matérialité dans le bitcoin, il manque d’incarnation, de représentation nouvelle lui permettant de s’ancrer dans la société, d’où les jetons physiques où sont gravées les clefs cryptographiques donnant accès aux bitcoins correspondants. Bitcoin est un objet abstrait car les calculs sont invisibles (même si J. Favier cite le bruit assourdissant des ventilateurs des fermes de minage) : la réalité numérique est là de fait mais reste difficile à “palper”.
Trust in me ?
Jean-Jacques Quisquater :
– Professeur à l’Université catholique de Louvain –
La confiance en Bitcoin semble axiomatique. pourtant, la confiance se construit, elle n’est pas automatique. Il y a différents types de confiance et l’on fait souvent appel à des tiers, les notaires par exemple, ou les banques, qui sont également un élément de confiance. Quant au cas du cachet de la Poste, il fait foi sans qu’il n’y ait pourtant de loi à ce sujet.
En quoi a-t-on donc confiance au juste ? Fait-on confiance au protocole (qui a été révisé de nombreuses fois) ? Ou encore aux programmeurs ? La blockchain, le registre comptable du réseau bitcoin, trouve dans l’histoire des analogies : J-J. Quisquater a évoqué les tablettes assyriennes, ancêtre de la blockchain. Les Incas, quant à eux, notaient les promesses dans des cordes au début de chaque année. Le pique-notes présent dans certains restaurants est aussi très semblable à la blockchain… Satoshi Nakamoto fait quant à lui remonter l’idée de blockchain aux années 90.
Cependant, Bitcoin et la blockchain sont basés sur la cryptographie (fonction de hachage et signatures); et Satoshi lui-même avait conseillé de suivre l’actualité cryptographique. Les ordinateurs quantiques sont une possibilité qu’il ne faut pas négliger et la NSA a d’ores et déjà banni l’usage des outils cryptographiques de Bitcoin; la vigilance quant à l’infaillibilité du protocole est de mise.
Pierre Cassou Nogues :
– Normalien, philosophe, professeur à Paris 8 –
Après avoir relaté sa découverte personnelle du bitcoin et la fameuse histoire des pizzas à 10 000 BTC, P. Cassou Nogues a cherché à vérifier l’axiome marxien selon lequel la valeur est corrélée au travail humain. Qui exploite-t-on avec Bitcoin ? Le minage semble reposer sur le travail humain.
Le bitcoin a un coût de production : lorsque j’en achète, j’achète une série de calculs singuliers. Cependant, les mineurs ne semblent guère travailler ! On peut donc supposer que le coût de production est inférieur à la valeur du bitcoin. Il y a de plus les halvings (division de la récompense par deux) : c’est par ce processus de raréfaction que le cours du bitcoin monte au cours du temps, par conception. Ce n’est pas un processus naturel mais technique: on pourrait même penser que bitcoin ne nécessite plus de travail humain (par exemple avec les métamineurs).
L’authenticité de Bitcoin vient de son histoire, de son “odeur” : un bitcoin est une entité numérique singulière non duplicable. Elle possède une “aura” numérique, tout comme les oeuvres d’arts possèdent une “aura” les rendant non falsifiables.
Bitcoin est donc un bien matériel non-copiable, possédant une valeur mais pouvant être produit sans le concours de la nature ou du travail humain, un contre-exemple à la théorie marxienne de la valeur.
Philippe Ratte :
– Normalien, agrégé d’histoire, Fondation Prospective et Innovation, auteur de “Tintin et l’accès à soi” –
Il y a de nombreuses analogies entre l’odyssée psychanalytique de Tintin, qui n’a pas de père, et qui lors de ses pérégrinations pose des problèmes et les résout, et le protocole de consensus de Satoshi Nakamoto, illustre inconnu. L’or est omniprésent dans les aventures de Tintin, ainsi que la notion de “faux” : fausse monnaie, faux cigares… L’idée sous-jacente est que ce qui pourrait être porteur de valeur ne l’est pas. C’est cette notion de falsification à laquelle Tintin tente de trouver des solutions, réconciliant pile et face dans L’Île Noire, rendant son sceptre au Roi légitime dans le Sceptre d’Ottokar (rendant au père son statut si l’on adopte une lecture psychanalytique).
Tintin, né de deux pères, cherche à élucider qui est le vrai. Pour cela, il faut tout d’abord déconstruire l’ordre préalable, avant de se reconstruire pour aller vers l’autonomie. Cette quête du vrai passe donc par la reconstruction de son histoire. C’est une construction du père en qui on peut avoir confiance, qui n’est pas le père biologique.
Mais alors, comment construire de la confiance dans un univers privé de l’ordre divin ? La réponse se trouve sans doute dans ces nouvelles architectures non-adossées au sacré.
Sponsors : présentation des entreprises
Opération Bitcoin-souvenir
Animée par Adrian Sauzade
– Trésorier du Cercle du Coin et co-fondateur de czam.me –
L’intérêt de cet atelier visant à créer des bitcoins numismatiques (ou plutôt des millibitcoins, la générosité de l’association ayant ses limites !) est de montrer que Bitcoin est une monnaie programmable.
- Prise de la photographie de l’assemblée présente à l’événement et enregistrement du morceau de musique
- Hachage des données
- Inclusion de ce hachis dans la transaction
- Programmation de la transaction : elle est effectuée vers de multiples adresses de sortie et les bitcoins ne seront disponibles qu’au 1er janvier 2018.
Jusqu’où l’anonymat est-il possible ?
David Poincheval
– Normalien, directeur de recherche au CNRS et responsable de l’équipe de cryptographie ENS-CNRS-INRIA –
Le premier analogue numérique aux pièces de monnaie fut proposé par David Chaum : il s’agit de l’ecash, la première monnaie électronique en ligne. Le problème de la double dépense se pose dès le début : la donnée numérique est facile à dupliquer. Dans le cas de la monnaie fiduciaire, chaque pièce est signée par la banque et est donc très difficile à falsifier. Vient ensuite la question de l’anonymat.
Du côté de la banque en ligne, l’anonymat est inexistant : lors d’un retrait, l’argent est distribué par la banque depuis un compte client clairement identifié. C’est la banque qui vérifie les dépôts. Le système ecash proposé par David Chaum utilise les blind signatures (signatures aveugles) : la “pièce”, qui possède un “numéro de série” unique est signée par la banque, mais sans que l’on ne connaisse ni l’identifiant ni l’émetteur de la signature émise; il est donc impossible de falsifier ou dépenser deux fois des pièces. Dans un système en ligne, c’est la banque qui est présente pour détecter les doubles dépenses; dans un système hors-ligne, cette détection ne s’effectue après coup. L’ecash est divisible : faire l’appoint nécessite de nombreuses pièces ou de trouver une méthode pour rendre de la monnaie.
L’anonymat a ses limites :
- Il est évidemment impossible dans le cas où la banque n’a qu’un seul client.
- Le réseau nécessite donc une taille très importante pour assurer l’anonymat (exemple : TOR).
- Il y a des cas problématiques, par exemple lors d’un vote électronique s’il n’y a qu’un seul votant ou un vote à l’unanimité.
L’anonymat équitable :
- En cas de vols ou de retraits frauduleux, les poursuites sont impossibles;
- Il y a donc une trappe (backdoor) qui permet de lever l’anonymat d’un client ou d’une pièce.
Les objectifs de la monnaie cryptographique sont donc les suivants :
- L’anonymat parfait,
- La traçabilité des transactions,
- la divisibilité des tokens (pièces).
Le graal du e-cash, c’est donc un token transférable à tous les clients et commerçants, gardant l’historique des transactions et garantissant l’anonymat.
Georg Fuschbauer
– Chargé de recherche à l’INRIA, Crypto Team ENS –
G. Fuschbauer a rappelé le caractère pseudo-anonyme des transactions sur le réseau Bitcoin : toute transaction est publique. C’est un problème pour la vie privée des utilisateurs mais aussi un désavantage pour les entreprises, à cause de la divulgation de données financières. Il y a des parades, comme les services de mixage (tumblers), ou encore le système Coin Join.
Afin d’accroître le niveau d’anonymat d’une transaction, il y a trois pistes :
- Cacher le récepteur : n’utiliser une adresse qu’une seule fois. C’est le principe des stealth addresses (implémenté par exemple dans le protocole de Monero).
- Cacher l’émetteur : c’est le principe des ring signatures. La transaction est signée au nom d’un ensemble de clefs; la signature ne révèle pas les clefs utilisées.
- Cacher le montant : c’est le cas pour ZCash dont le protocole est basé sur la zero knowledge interactive proof (preuve interactive à divulgation nulle de connaissance) : il s’agit de prouver la validité d’une transaction sans révéler quelque information que ce soit quant à son contenu (les tokens sont chiffrés grâce à un “secret” et possèdent un “numéro de série”). Cependant, les zn-SNARKS sont lents à générer et nécessitent des paramètres fiables : qui connaît le secret peut contrefaire des pièces. L’anonymat reste toutefois garanti même en présence d’acteurs malicieux lors de la création des paramètres.
Odile Lakomski
– Economiste, maitre de conférences à l’Université de Picardie –
Bitcoin est un outil de contestation dans une société de contrôle. Un contrôle qui est aujourd’hui informatisé et décentralisé : nous nous dirigeons vers une société de “sécurité maximale” tandis que Bitcoin entend bien faire sonner le glas des sociétés disciplinaires. Même si elle est d’apparence non-violente, la technique favorise le contrôle de masse. Le mouvement cypherpunk, à l’origine de Bitcoin, essaie d’échapper à ce contrôle.
En économie, la monnaie fonctionne comme une mémoire : c’est un moyen d’enregistrer les transactions. La monnaie bancaire centralise l’information au sein des institutions. C’est donc un des meilleurs outils de contrôle, même si l’idée de base se limitait à éliminer la fraude fiscale.
L’argent liquide est le premier moyen permettant d’échapper à ce contrôle. La confiance s’établit par le “sceau” : on fait confiance à la créance de toute une société. L’apparition des taux négatifs qui incitent à dépenser provient de la possibilité de mettre tout son capital en dépôt.
Les autorités contrôlent également le récit des événements : associé très tôt au dark web, Bitcoin est fréquemment mentionné durant les débats relatifs à l’anonymat. Il faut pourtant bien rappeler que Bitcoin n’est pas complètement anonyme et que les criminels utilisent avant tout l’argent liquide. Il y a donc un dilemme entre la confiance placée en une monnaie et l’anonymat qu’elle garantit.
O. Lakomski a présenté Bitcoin à travers une théorie de la monnaie : la monnaie peut être métalliste, nominaliste ou institutionnaliste, et la confiance peut être de type méthodique, hiérarchique (il y a une autorité au-dessus de tous) et éthique (la monnaie correspond aux valeurs d’une société). Ces trois types de confiance doivent être réunis : dans le cas de Bitcoin, il y a un problème de confiance éthique.
L’anonymat d’une monnaie change-t-il le paradigme économique ? Si on prend l’exemple de l’Inde, la démonétisation des espèces a entraîné de gros problèmes pour les populations débancarisées.
Que fait la police ?
Capitaine Edouard Klein
– Docteur en Intelligence Artificielle et cyber-gendarme –
E. Klein a fait un tour d’horizon des lois informatiques, de la loi “Informatiques et libertés” à Hadopi. La loi informatique et libertés de 1978 est toujours précise, applicable et appliquée; tandis que la loi Hadopi pose des problèmes, notamment l’inversion de la charge de preuve. Ce qu’il faut retenir :
- La loi actuelle comporte déjà tout ce qui est nécessaire afin d’enclencher une procédure judiciaire.
- Le statut légal des bitcoins est celui de bien meuble incorporel.
- Une adresse bitcoin est considérée comme une donnée personnelle si elle est reliée à une identité.
- L’intégrité de la preuve numérique est une des applications futures de la blockchain.
Jean-Yves Rossi :
– Conseiller d’Etat –
J-Y. Rossi a rappelé le rôle de la Police judiciaire dans les crimes et délits. Corroborant les dires d’E. Klien lors de son intervention, le corpus deliti est suffisant pour poursuivre les criminels, eussent-ils utilisé Bitcoin; ce dernier ne nécessite pas à ses yeux de lois spécifiques.
Le rôle de la Police administrative, aujourd’hui, est de plus en plus assuré par des lois supranationales, comme dans le domaine du blanchiment d’argent où les engagements internationaux prévalent sur les décisions des législateurs. Toutes les activités cryptographiques étant encadrées par les directives de l’Union européenne, le législateur n’a qu’une marge de manoeuvre limitée.
J-Y. Rossi a insisté sur le caractère récognitif de l’usage de la monnaie : il n’est pas nécessaire de donner une définition de la valeur légale de Bitcoin pour qu’il soit considéré comme une monnaie.
Laurent Feller
– Normalien, professeur d’histoire économique du Moyen-Âge à l’Université de Paris 1 –
Pour le médiéviste, la monnaie est un objet, et cela peut être n’importe quoi : tout objet qui a de la valeur par convention. La monnaie médiévale était un objet sacré, devant donner accès à une richesse juste, basée sur l’économie chrétienne. Elle comporte des inscriptions, mais non numéraires. On doit s’assurer de son poids juste, de son aloi. Les supports utilisés étaient difficiles à falsifier, qu’il s’agisse de boeufs, de grains, de piécettes d’argent, de deniers, livres ou sous…
Au Moyen-âge, il y a dans la matérialité de la monnaie quelque chose de très important : le nom du souverain. Elle est donc le signe de la valeur du souverain et de la confiance que le peuple lui porte. Si la falsification n’est pas un problème dans le cas de Bitcoin, au Moyen-Âge, c’était une assez mauvaise idée que de tenter pareille supercherie : la punition pouvait être particulièrement cruelle et le faux-monnayeur pouvait par exemple finir ébouillanté. Le faux-monnayage est donc surtout un crime de lèse-majesté.
Bitcoin a un énorme avantage : il ne pèse rien. C’est une réserve de valeur, comparable à la terre au Moyen-âge. Qu’un objet immatériel puisse être une réserve de valeur n’a rien de surprenant : la monnaie est un bien commun, qui garantit la qualité des échanges. Elle ne relève pas de la valeur ou de la nature de l’objet utilisé.
Conclusion d’Adli Takkal Bataille :
– Président du Cercle du Coin, co-auteur de l’ouvrage “Bitcoin, la monnaie acéphale” –
Le Président du Cercle du Coin a remercié les orateurs pour la qualité de leurs interventions, les membres actifs de l’association et l’Ecole Normale Supérieure pour leur aide précieuse quant à l’organisation de l’événement, les sponsors pour leur aide financière et enfin le public pour sa curiosité et son enthousiasme.
La réussite de Bitcoin Pluribus Impar fut fêtée en cercle plus restreint autour d’une bonne table. Gageons que ce n’est qu’un début, cette rencontre n’étant pas passée inaperçue, même chez certains détracteurs habituels de notre monnaie préférée !
Les vidéos de l’événement :
Réalisation : Marco et Jean-Luc pour bitcoin.fr. Pour de nombreuses autres vidéos de qualité en français, rendez-vous sur la chaîne Youtube Bitcoin fr.
Introduction, intervention de Ricardo Perez Marco :
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