Depuis le tout premier épisode de Planète Bitcoin, j’analyse la relation paradoxale qu’entretiennent les banques avec Bitcoin et leur focus sur la blockchain, devenu un terme de substitution. Le lecteur averti est déjà au courant des investissements massifs des grandes banques de Wall Street mais également de l’intérêt des établissements financiers européens pour les cryptomonnaies (Planète Bitcoin #2 à 4). La France, toujours un peu plus lente, est désormais également concernée (Planète Bitcoin #5). L’intérêt de notre oligarchie financière pour Bitcoin ne fait que grandir, et il semblerait que les retardataires s’inquiètent de son potentiel disruptif; tandis que les institutions qui avaient réagi en premier confortent leurs positions, se tournant vers la recherche et le développement.
Victimes collatérales
Commençons cette revue de presse en parlant de ceux qui craignent pour leur avenir ! Connaissez-vous la CFTC, Commodity Futures Trading Commission ? C’est une agence fédérale américaine indépendante et vieillissante, chargée de la régulation des bourses où s’échangent les matières premières. Le commissaire JC Giancarlo, lors d’un discours grandiloquent rapporté ici, a fait état de l’avenir difficile pour leur institution, datant de 1975 et déjà menacée par les requins de notre planète – Bank of America, Citigroup, HSBC, JP Morgan Chase, Royal Bank of Scotland et UBS, depuis l’affaire de la manipulation du cours de l’or, emblématique de la toute-puissance de nos maîtres du monde…
Divisée en six parties, sa tribune est d’abord larmoyante : l’introduction met en parallèle les cyber-attaques dont sont victimes les grandes institutions de ce monde et le 11 septembre 2001… Il fait ensuite l’état des lieux de la révolution technologique actuelle dans l’économie mondiale due à Bitcoin et aux technologies blockchain. S’ensuit un chapitre très intéressant bourré de références faisant l’état des lieux des marchés aujourd’hui, qui sont très peu liquides depuis la “crise” de 2008. En effet, malgré les fameux CDS de Blythe Masters et l’activation forcenée des planches à billets Dollar-Euro-Yen, force est de constater que les gens achètent et vendent de moins en moins. En tentant de pérenniser à tout prix un système à l’agonie, ces méthodes ne font qu’offrir une illusion de croissance. La conclusion de cette partie est très révélatrice car il insiste sur le fait que l’ajout des non-bancarisés dans l’économie globale grâce à Bitcoin pourrait compenser le manque de liquidités chez les banques. Les deux parties suivantes mettent en lumière l’aspect centralisé de la finance actuelle.
Enfin notre ami Giancarlo conclut en énumérant les six challenges auxquels fait face son écosystème:
- les assauts répétés des cyber-criminels
- l’avènement des technologies numériques
- l’expansion démographique croissante et la domination de l’inclusion financière par les grosses banques centrales américaines
- la diminution de la qualité de vie due à cette économie peu liquide
- la réduction des fournisseurs de services sur les marchés
- la fragmentation des marchés à l’échelle mondiale : dé-globalisation.
Vous l’aurez compris, ces inquiétudes me réjouissent et mettent en lumière les premières victimes collatérales de la crypto-révolution : toutes ces agences chargées d’auditer, conseiller et noter les différentes institutions bancaires et leurs systèmes de transferts surannés. D’une part à cause de la centralisation extrême de nos structures monétaires dont nous sommes nous-mêmes victimes; mais aussi de l’émergence de ce fameux concept de “dé-globalisation” que nous appelons décentralisation chez Bitconseil.
Nos maîtres du monde
Comment ne pas nommer l’inénarrable Goldman Sachs qui a compris depuis longtemps que Bitcoin et la technologie blockchain sont en train de bouleverser l’économie mondiale en prenant part à la bataille depuis le début (voir Planète Bitcoin #1). La banque expérimente même sa propre cryptodevise le SETLcoin et a publié une étude portant sur 752 américains tous issus de la fameuse génération des millenials (ceux qui sont nés avec les nouvelles technologies et Internet) :
- 51 % n’ont pas utilisé Bitcoin et n’ont pas l’intention de le faire
- 22 % n’ont pas utilisé Bitcoin mais comptent le faire
- 22 % l’utilisent ou l’ont déjà utilisé et pensent l’utiliser à nouveau
- 5 % l’utilisent et font confiance aux différents services et wallets disponibles
Robert D. Boroujerdi, leader de tous ces rapports, insiste sur la nature décentralisée de Bitcoin comme avantage majeur sur les registres financiers existants ! Il mentionne les nombreuses applications dérivées de cette révolution technologique et comme tout banquier, cherche à pointer les failles de Bitcoin; comparant les 47000 transactions par seconde effectuées par VISA – 885 millions d’être humains possèdent une Visa et 722 une mastercard – aux 7 transactions par seconde effectuées par le réseau Bitcoin concernant tout au plus un million d’utilisateurs actifs.
Parlons ensuite de la start-up R3 CEV qui semble jouer un rôle central dans l’initiation de nos “Maîtres du Monde” aux technologies blockchain. L’entreprise est dirigée par David Rutter et son équipe, comportant notamment Richard Gendall Brown, auteur de l’excellent blog “Thoughts on the Future of Finance”. La corporation a réussi à fédérer pas moins de 25 banques autour d’elle, et pas des moindres ! La liste suivante peut être considérée comme bien représentative de notre oligarchie actuelle, qui a toujours un pion d’avance et est déjà en train de réfléchir à la façon de contrer notre fameuse décentralisation financière – liens Wikipédia pour les novices ou curieux :
Bank of America, Bank of New York Mellon, Mitsubishi UFJ Financial Group, Citi, Commerzbank, Deutsche Bank, HSBC, Morgan Stanley, National Australia Bank, Royal Bank of Canada, SEB, Société Générale, Toronto-Dominion Bank, Goldman Sachs, Barclays, BBVA, Commonwealth Bank of Australia, Crédit Suisse, JPMorgan, State Street, Royal Bank of Scotland, UBS, Mizuho Bank, Nordea et UniCredit.
Transition amusante mais significative, même la banque centrale de la Barbade (petite île des Caraïbes et “paradis financier”) mentionne dans cette note qu’elle projette d’acquérir des bitcoins en tant que fonds de réserve ! Le montant doit être corrélé à la proportion (relativement faible) des cryptomonnaies dans les échanges entre les citoyens du pays; les économistes locaux évoquent même la possibilité pour la banque centrale d’investir dans le minage de Bitcoin !
Et l’Europe ?
Dans un rapport intitulé « Digital money : a pathway to an experience economy », Citigroup et l’Imperial College encouragent fortement l’industrie bancaire à s’engager plus fermement dans la numérisation de la monnaie. Les raisons invoquées sont avant tout financières car selon les estimations (basées sur leur index regroupant 90 pays), une augmentation de 10% de l’adoption de la monnaie numérique rapporterait $120 milliards d’économies quant au coût des ventes en « cash » (argent liquide et cartes bancaires) et permettrait de collecter $185 milliards de taxes.
Bank of England
D’abord réticente, la BOE s’était jointe au consensus général qui consiste à dire qu’utiliser la technologie blockchain est inévitable. Dans son rapport de février 2015, le « One Bank Research Agenda » les coûts et les bénéfices de la création d’une devise numérique émise par la banque centrale sont étudiés, ainsi que les implications de cette nouvelle forme de monnaie sur les systèmes de paiements actuels.
Deutsche Bank
Vous vous souvenez peut-être de l’Autorité européenne des marchés financiers, qui avait lancé un appel aux banques pour savoir comment appréhender les cryptodevises et le type de régulation à adopter – Citi avait été parmi les premières banques à réagir, voir planète Bitcoin #4. La Deutsche Bank y a également répondu dans cette lettre datant de juillet. Thomas Dapp, du pôle recherche, avait lancé dans la foulée un appel à intégrer la technologie issue de Bitcoin et même à s’en inspirer pour créer un système de registre décentralisé similaire.
Conclusion
Il est évident que Bitcoin a le potentiel d’impacter significativement l‘économie mondiale. Le système bancaire traditionnel implose à cause d’un endettement toujours plus lourd des Etats vis-à-vis des banques privées et des banques centrales qui continuent à imprimer toujours plus de monnaie papier. Etant donné le ratio proche du néant entre la masse monétaire présente sur leurs registres et les liquidités réelles des états, banques, sociétés et même citoyens, la valeur de nos chers euros se rapproche de plus en plus du coût de leur impression.
La crainte de ces mastodontes financiers est de voir le contrôle des échanges financiers leur échapper au profit du plus grand nombre : en effet, Bitcoin démontre qu’il est possible de décentraliser la création et le transfert monétaire! Je reviens une fois de plus sur ce concept de dé-globalisation qui fait peur aux institutions bancaires : grâce à Internet et aux technologies qui suivront notre pionnier Bitcoin, l’être humain a le moyen de fragmenter ce pouvoir de création monétaire et de transfert de valeur qui était jusqu’ici conféré à une toute petite oligarchie.
Comme toujours le système joue sur la sémantique et nous parle de blockchain plutôt que de Bitcoin afin de contrer l’offensive. L’année à venir sera déterminante; certains rejoindront la révolution cryptotechnologique et d’autres trahiront Bitcoin en s’alliant aux grandes banques pour garder une place au chaud.
J’incite donc le lecteur à s’approprier Bitcoin avant le système !
“Bitcoin, c’est du punk rock ! La blockchain, c’est du smooth jazz…”
Laissons les banques se casser les dents en essayant de comprendre une technologie qui est déjà au-delà de leur paradigme.
En effet, quel que soit le terme qu’on lui substitue, la force de Bitcoin réside dans son aspect décentralisé, open-source, participatif, dynamique, effectif et économique pour tout citoyen. Il n’a pour l’instant pas beaucoup de descendants : Ethereum et ses smart-contracts, Monero et son anonymat garanti, BitShares et Ripple qui tentent de trouver un équilibre entre crypto-technologies, fintechs et banques traditionnelles.
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