Voici la traduction française de l’article de Vitalik Buterin, “Analyzing token sale models”, publié originellement sur vitalik.ca. Nous le remercions une fois de plus pour son aimable autorisation. Les modèles de levées de fonds via les monnaies décentralisées se multiplient : Vitalik Buterin les examine avant de proposer des alternatives et de lancer des pistes de réflexion.
Article original : Analyzing token sale models par Vitalik Buterin – Traduction : Morgan Phuc/BitConseil – Image d’en tête : Ethereum Frontier, license CC BY 3.0.
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Note : je mentionne ci-dessous les noms de plusieurs projets seulement afin de comparer les mécanismes de vente de leur token; cela NE DOIT PAS être interprété comme le soutien ou la critique d’un projet spécifique dans son ensemble. Il est entièrement possible qu’un projet donné soit de la camelote mais présente pourtant un modèle de vente de token génial.
Les derniers mois ont vu se développer une quantité croissante d’innovation dans les modèles de vente de tokens. Deux ans auparavant, le secteur était simple : il y avait des ventes plafonnées, un nombre fixé de tokens à prix fixé qui se vendaient souvent rapidement, et il y avait des ventes sans plafond, où étaient vendus autant de tokens que les gens le désiraient. Aujourd’hui, nous avons constaté un fort engouement, à la fois en termes d’investigation théorique et, dans de nombreux cas, de mise en œuvre dans le monde réel, pour les ventes hybrides plafonnées, les ventes aux enchères inversées, les ventes aux enchères de Vickrey, les remboursements proportionnels, et pour de nombreux autres mécanismes.
Nombre de ces mécanismes sont apparus comme des réponses aux échecs perçus dans les conceptions précédentes. Presque toutes les ventes importantes, y compris les Basic Attention Tokens de Brave, Gnosis, les ventes à venir telles que Bancor[1], les anciennes telles que Maidsafe et même la crowdsale d’Ethereum elle-même, ont reçu beaucoup de critiques, ce qui soulève un simple fait : jusqu’à présent, nous n’avons toujours pas découvert un mécanisme qui possède toutes, ou ne serait-ce que la plupart, des propriétés que nous aimerions.
Examinons quelques exemples.
Maidsafe
La plate-forme Internet décentralisée a levé 7 millions de dollars en cinq heures. Cependant, elle a commis l’erreur d’accepter le paiement en deux devises (BTC et MSC) en donnant un taux favorable aux acheteurs de MSC. Cela a conduit à une valorisation temporaire doublée du MSC, lorsque les utilisateurs se sont précipités pour en acheter afin de participer à la vente au taux le plus favorable, mais le prix a connu une baisse tout aussi importante après la fin de la vente. De nombreux utilisateurs ont converti leur BTCs en MSCs pour y participer, mais elle a été fermée trop rapidement pour eux, ce qui les a amenés à subir une perte d’environ 30%.
Cette vente, ainsi que plusieurs autres qui ont suivi (WeTrust, TokenCard), ont donné une leçon qui, espérons-le, devrait être à l’heure actuelle incontestable : une vente acceptant plusieurs devises à un taux de change fixe est dangereuse et mauvaise. Ne le faites pas.
Ethereum
Le financement participatif d’Ethereum ne fut pas plafonné, et dura 42 jours. Le prix de vente était de 2000 ETH pour 1 BTC durant les 14 premiers jours, puis il crût de façon linéaire, finissant à 1337 ETH pour 1 BTC.
Presque chaque vente non-plafonnée est critiquée pour être “avide” (une critique au sujet de laquelle j’émettrai des réserves, mais nous y reviendrons), bien qu’il y ait aussi une autre critique plus intéressante de ces ventes : elles donnent aux participants une forte incertitude quant à l’estimation de ce qu’ils achètent. Pour prendre comme exemple une vente n’ayant pas encore débuté , il y a probablement autant de personnes prêtes à payer 10 000 $ pour un tas de tokens Bancor s’ils savaient que cette somme représente 1% de tous les Bancor tokens existants, mais beaucoup d’entre eux deviendraient plutôt inquiets s’ils achetaient, disons, 5000 Bancor tokens, mais en ne sachant pas si la provision totale sera de 50 000, 500 000 ou 500 millions.
Lors de la vente d’Ethereum, les acheteurs qui se préoccupaient vraiment de la prédictibilité de la valorisation ont généralement acheté le 14ème jour, le raisonnement étant que c’était le dernier jour de la période de réduction et donc qu’ils avaient à la fois une prédictibilité maximum et la pleine réduction, mais ce schéma est difficilement un comportement économique optimal; l’équilibre serait sûrement quelque chose comme acheter durant la dernière heure du 14ème jour, établissant un compromis privé entre la certitude de la valorisation et les 1,5% (ou, si la certitude était vraiment importante, les achats pourraient se poursuivre les 15ème, 16ème jours et plus tard). Par conséquent, le modèle a certainement des propriétés économiques assez curieuses que nous aimerions vraiment éviter s’il existe un moyen pratique de le faire.
BAT
Durant 2016 et début 2017, le modèle de vente plafonnée était le plus populaire. Les ventes plafonnées ont la propriété de décupler l’intérêt des souscripteurs, il y a donc une grande incitation à arriver en premier. Initialement, les ventes prenaient quelques heures à se terminer. Cependant, la vitesse s’est très vite accélérée. First Blood fit les gros titres en clôturant sa vente de 5,5 M$ en deux minutes – tandis que la blockchain d’Ethereum subissait des attaques de déni de service. Toutefois, l’apothéose de cette course à l’équilibre de Nash ne survint pas avant la vente des BATs le mois dernier, où une levée de fonds de 35 M$ fût complétée en moins de 30 secondes à cause du gros intérêt porté au projet.
Non seulement la vente fut clôturée en deux blocs, mais également :
- Le total des frais de transaction payés furent de 70.15 ETH (plus de 15 000 $), avec les frais uniques les plus élevés représentant environ 6 600 $.
- 185 achats furent un succès, et plus de 10 000 échouèrent.
- La capacité de la blockchain d’Ethereum fut pleine 3 heures après le début de la vente.
Ainsi, nous commençons à voir les ventes à capital plafonné s’approcher de leur équilibre naturel : les gens essaient de surpasser les frais de transaction de l’autre, au point que des milliards de dollars d’excédent peuvent être brûlés entre les mains des mineurs. Et c’est avant le début de la prochaine étape: les grandes coopératives minières commencent en première ligne et achètent tous les tokens elles-mêmes avant que quelqu’un d’autre ne puisse le faire.
Gnosis
La vente de Gnosis a tenté d’atténuer ces problèmes avec un nouveau mécanisme : l’enchère hollandaise inversée. Les termes, sous leur forme simplifiée, sont les suivants. Il y eut une vente plafonnée, avec une limite haute de 12,5 M$. Cependant, la portion des tokens qui serait effectivement donnée aux acheteurs dépendait du temps que prendrait la vente pour se terminer. Si elle se terminait le premier jour, alors seulement 5% des jetons seraient répartis entre les acheteurs, et le reste serait détenu par l’équipe de Gnosis; si elle se clôturait le deuxième jour, ce serait ~ 10%, et ainsi de suite.
L’objectif est de créer un schéma où, si vous achetez à l’instant T, vous êtes garanti d’acheter à une valorisation d’au plus 1 / T.
Le but est de créer un mécanisme où la stratégie optimale est simple. Premièrement, vous décidez personnellement quel est le prix maximal que vous seriez prêt à payer (appelons-le V). Ensuite, lorsque la vente commence, vous n’achetez pas immédiatement; vous attendez plutôt jusqu’à que la valeur tombe sous ce niveau, et vous effectuez alors votre transaction.
Il y a deux issues possibles :
- La vente se clôture avant que la valeur ne tombe en-dessous de V. Vous êtes donc content d’être resté en dehors de ce que vous pensiez être un mauvais deal.
- La vente se clôture après que la valeur est tombée au-dessous de V. Vous avez envoyé votre transaction, et vous êtes heureux car vous avez avez souscrit à ce que vous pensiez être un bon deal.
Cependant, de nombreuses personnes prétendaient qu’à cause de la “fear of missing out” (FOMO[2]), nombreux seraient ceux qui achèteraient “irrationnellement” le premier jour, sans même regarder la valorisation. Et c’est exactement ce qui s’est passé : la vente fut clôturée en quelques minutes, avec comme résultat d’atteindre le plafond de 12,5 M$ alors que seulement 5 % des tokens existants étaient vendus – une valorisation implicite de plus de 300 millions.
Tout ceci pourrait être évidemment une excellente confirmation de l’affirmation selon laquelle les marchés sont totalement irrationnels et que les gens ne pensent pas clairement avant de miser de grosses quantités d’argent (et souvent, comme sous-entendu, que l’écosystème des ICOs devrait être en quelque sorte supprimé afin d’empêcher plus d’exubérance), s’il n’y avait un fait gênant : les traders qui ont souscrit à la vente avaient raison.
Même en parlant en ethers, malgré la hausse massive du prix de l’ETH, le prix d’un GNO est passé de 0,6 à 0,8 ETH.
Que s’est-il passé ? Deux semaines avant la vente, face aux critiques publiques disant que si elle finissait par détenir la majorité des pièces, elle agirait comme une banque centrale avec la capacité de manipuler fortement les prix du GNO, l’équipe de Gnosis a accepté de détenir 90% des tokens qui n’ont pas été vendus pendant un an. Du point de vue du trader, les coins verrouillés si longtemps ne peuvent pas affecter le marché, et donc dans une analyse à court terme, pourraient aussi bien ne pas exister. C’est ce qui a initialement propulsé Steem à un cours aussi élevé en juillet dernier, ainsi que Zcash dans les tout premiers instants où le prix de chaque coin était supérieur à 1 000 $.
Une année n’est pas un temps si long, et bloquer des coins durant un an n’est pas la même chose que de les bloquer pour toujours. Cependant, le raisonnement va plus loin. Même après l’expiration de la période d’un an, vous pouvez dire qu’il est dans l’intérêt de l’équipe de Gnosis de ne libérer les coins bloqués que si procéder de la sorte fera monter le cours, et donc si vous faites confiance au jugement de l’équipe cela signifie qu’ils vont faire quelque chose qui est au moins aussi bon pour le cours du GNO que de simplement bloquer les coins pour toujours. Par conséquent, en réalité, la vente du GNO ressemblait beaucoup plus à une vente plafonnée à 12,5 M$ et valorisée à 37.5 M$. Et les traders qui ont participé à la vente réagirent exactement comme ils auraient dû, laissant nombre de commentateurs sur Internet se demander ce qu’il venait de se passer.
Il y a assurément une étrange bulle au sujet des actifs crypto, avec de nombreux actifs inconnus atteignant des capitalisations de 1 à 100 M$ (en incluant BitBean à 12 M$ à l’heure d’écriture, PotCoin à $22m, PepeCash à $13m et SmileyCoin à $14.7m) juste… “parce que”. Cependant, il y a fort à penser que les participants à la phase de vente ne font souvent rien de mal, du moins pour eux-mêmes; plutôt, les traders qui se lancent dans les ventes prédisent simplement (correctement) l’existence d’une bulle en cours depuis début 2015 (et vraisemblablement depuis début 2010).
Plus important encore, le comportement de “bulle” mis à part, il y a une autre critique légitime de la vente de Gnosis : malgré leur promesse de séquestre d’un an, ils auront finalement accès à l’intégralité de leurs coins, et ils pourront de façon limitée agir comme une banque centrale avec la capacité de manipuler fortement les cours du GNO, et les traders devront faire face à l’incertitude de la politique monétaire que cela implique.
Spécifier le problème
A quoi-donc ressemblerait un bon mécanisme de vente de token ? Une façon de commencer est de regarder à travers les critiques des modèles de vente existants que nous avons vus et d’en arriver à une liste de propriétés désirées.
Allons-y. Quelques propriétés naturelles incluent :
- La certitude de la valorisation – si vous participez à une vente vous devriez au moins avoir la certitude qu’il y existe un plafond quant à la valorisation (ou, en d’autres termes, un plancher quant au pourcentage de tous les jetons que vous obtenez).
- La certitude de la participation – si vous participez à une vente, vous devriez être capable de compter sur son succès.
- Le plafond du montant collecté – afin d’éviter d’être perçu comme trop gourmand (ou peut-être pour atténuer le risque juridique), la vente devrait avoir une limite sur le montant d’argent qu’elle collecte.
- Pas de banque centrale – l’émetteur de la vente ne devrait pas pouvoir se retrouver, de manière inattendue, avec un pourcentage très important des tokens qui lui donnerait le contrôle sur le marché.
- Efficacité – la vente ne devrait pas entraîner d’insuffisances économiques considérables ou des pertes sèches.
Cela semble raisonnable ?
Et bien, voici la partie pas-si-amusante.
- (1) et (2) ne peuvent être pleinement satisfaites simultanément.
- Sans avoir recours à d’habiles tours de passe-passe, (3), (4) et (5) ne peuvent être satisfaites simultanément.
Cela peut être appelé “le premier dilemme des ventes de tokens” et “le second trilemme des ventes de tokens“.
Prouver le premier dilemme est facile : supposez que vous avez une vente où vous fournissez aux utilisateurs avec certitude une valorisation de 100 millions. Maintenant, supposez que les utilisateurs essaient d’injecter 101 millions dans la vente. Au moins quelques uns vont échouer. La preuve du deuxième trilemme est un simple argument d’offre et de demande. Si vous satisfaites (4), alors vous vendez tout, ou un large pourcentage fixé des tokens, et donc la valorisation de ce que vous vendez est proportionnelle au prix de la vente. Si vous satisfaites (3), alors vous plafonnez le prix. Cependant, cela implique la possibilité que le prix d’équilibre à la quantité que vous vendez excède le plafond que vous avez mis en place, et donc il y a une pénurie, ce qui inévitablement amène à (i) l’équivalent numérique d’une attente de quatre heures dans la file d’un restaurant très populaire, ou (ii) l’équivalent numérique d’un trafic de tickets – des pertes sèches, ce qui est contradictoire avec (5).
Le premier dilemme ne peut être surmonté; il est impossible d’échapper à un peu d’incertitude quant à la valorisation ou à la participation, bien que lorsque le choix existe il semble mieux de choisir l’incertitude sur la participation plutôt que l’incertitude sur la valorisation. Nous pouvons nous approcher de l’idéal en faisant un compromis sur la pleine participation pour garantir une participation partielle. Cela peut être fait grâce à un remboursement proportionnel (i.e si 101 M$ ont été achetés pour une valorisation de 100 M$, alors tout le monde obtient 1% de remboursement). Nous pouvons aussi penser ce mécanisme comme une vente non plafonnée où une partie du paiement provient du fait de bloquer le capital plutôt que de le dépenser; de ce point de vue, cependant, il devient clair que le blocage de capitaux entraîne une perte d’efficacité, et donc un tel mécanisme ne peut satisfaire (5). Si les avoirs en ether ne sont pas bien distribués alors cela nuit à l’équité en favorisant les porteurs très riches.
Le second dilemme est difficile à surmonter, et de nombreuses tentatives peuvent facilement échouer ou avoir l’effet opposé. Par exemple, la vente de Bancor limite le prix en gas des transactions nécessaire aux achats à 50 shannons (environ douze fois le prix normal du gas). Cependant, cela signifie désormais que la meilleure stratégie pour un acheteur est de mettre en place un grand nombre de comptes, et pour chacun de ces comptes envoyer une transaction qui déclenche un contrat, qui tente ensuite d’acheter (l’indirection[3] est là afin de rendre impossible pour l’investisseur d’acheter accidentellement plus qu’il ne le voulait, et de réduire les capitaux requis). Plus un acheteur met en place de comptes, plus ces derniers ont une chance d’y arriver. Par conséquent, à l’équilibre, cela pourrait entraîner encore plus d’engorgement de la blockchain Ethereum que lors d’une vente de style BAT, où au moins les 6600$ de frais ont été dépensés en une seule transaction et non dans toute une attaque de déni de service sur le réseau. En outre, toute forme de “concours au spam” via les transactions on-chain nuit sérieusement à l’équité, car le coût de participation au concours est constant, alors que la récompense est proportionnelle à la quantité d’argent que vous possédez, de sorte que le résultat favorise de manière disproportionnée les riches intervenants.
Avancer
Il y a trois choses plus intelligentes que vous pouvez faire. Premièrement, vous pouvez utiliser les enchères inversées comme Gnosis, mais avec un changement : au lieu de bloquer les tokens invendus, allouez-les à un bien public. Exemples simples : (i) airdrop (i.e redistribuer à tous les porteurs d’ethers), (ii) donner à la Fondation Ethereum, (iii) donner à Parity, Brainbot, Smartpool ou autres compagnies et individus bâtissant des infrastructures pour Ethereum, ou (iv) une combinaison des trois, possiblement avec des ratios votés par les acheteurs de tokens.
Deuxièmement, vous pouvez garder les tokens invendus, mais en résolvant le problème de la “banque centrale” en s’engageant à suivre un plan automatisé quant à la façon dont ils seront dépensés. Le raisonnement ici est similaire à celui qui pousse de nombreux économistes à s’intéresser à la politique monétaire basée sur des règles : même si une entité centrale contrôle fortement une ressource puissante, une grande partie de l’incertitude politique qui en découle peut être atténuée si l’entité s’engage de manière crédible à suivre un ensemble de règles programmées sur la façon dont elle applique cette politique. Par exemple, les jetons invendus peuvent être remis à un market maker dont la tâche est de préserver la stabilité du token.
Troisièmement, vous pouvez faire une vente plafonnée, où vous limitez la quantité pouvant être achetée par chaque personne. Réaliser cela efficacement requiert un processus de KYC, mais la bonne chose est qu’une entité dédiée peut le faire une seule fois, plaçant les adresses des utilisateurs sur une liste blanche une fois qu’elle a vérifié qu’une adresse correspond à un unique individu, et cela peut alors être réutilisé pour chaque vente de token, à côté d’autres applications qui peuvent bénéficier de résistance aux attaques sybil[4] comme le vote quadratique d’Akasha. Il y a toujours des pertes sèches ici, parce que cela amènera des individus qui n’ont aucun intérêt personnel pour les tokens à participer aux ventes car ils savent qu’ils seront capables de mettre rapidement les tokens sur le marché pour en tirer du profit. Cependant, ce n’est pas si mal : cela crée une sorte de crypto-revenu universel de base, et si les hypothèses de l’économie comportementale comme l’effet de dotation[5] sont ne serait-ce que légèrement vraies, elles réussiront également à garantir une propriété largement distribuée.
Les ventes à tour d’investissement unique sont-elles bonnes ?
Revenons-en au sujet de la “cupidité”. Je prétendrais que peu de gens sont, en principe, opposés à l’idée d’équipes de développement capables de dépenser 500 M$ pour créer un projet vraiment brillant rapportant 500 M$. Les gens sont plutôt opposés à ceci : (i) l’idée d’équipes de développement totalement nouvelles et non-testées recevant 50 M$ en une fois, et (ii) plus important encore, le décalage temporel entre les récompenses des développeurs et les intérêts des acheteurs du token. Dans une vente à ronde d’investissement unique, les développeurs ont une seule chance de collecter de l’argent pour bâtir le projet, et elle est proche du début du processus de développement. Il n’y a pas de mécanisme de retour d’expérience où les équipes reçoivent d’abord une petite quantité d’argent pour se tester, puis ont accès à plus de capital au cours du temps lorsqu’elles se révèlent fiables et fructueuses. Durant la vente, il y a comparativement peu d’informations permettant de filtrer entre les bonnes équipes de développement et les mauvaises, et lorsque la vente est close, l’incitation des développeurs à continuer de travailler est relativement faible en comparaison des compagnies traditionnelles. La “cupidité” n’est pas le fait de récolter énormément d’argent, c’est de collecter beaucoup de fonds sans travailler dur afin de montrer que vous êtes capable de les dépenser judicieusement.
Si nous voulons frapper au coeur de ce problème, comment le résoudrions-nous ? Je dirais que la réponse est simple : commencer par aller vers des mécanismes autres que les ventes à tour d’investissement unique.
Je peux offrir plusieurs exemples comme inspiration :
- Angelshares – ce projet conduisit une vente en 2014 où un pourcentage fixé de tous les AGS était vendu chaque jour durant une période de plusieurs mois. Durant chaque journée, les gens pouvaient contribuer de façon illimitée au financement participatif, et l’allocation des AGS était répartie entre tous les contributeurs. En gros, c’est comme avoir une centaine de “micro-tours” d’investissement non plafonnés sur une période de plus d’un an; je prétendrais que la durée des ventes peut même être plus étendue.
- Mysterium, qui mena une micro-vente peu remarquée six mois avant la grosse.
- Bancor, qui a récemment accepté de placer tous les fonds récoltés au-dessus d’une certaine limite chez un market maker qui maintiendra la stabilité du prix ainsi qu’un prix plancher de 0.01 ETH. Ces fonds ne peuvent pas être retirés du market maker pendant deux ans.
Il semble difficile d’établir la relation entre la stratégie de Bancor et les incitations à résoudre les décalages temporels, mais un élément de solution est ici. Pour voir comment, considérez deux scénarios. Comme premier cas, supposez que la vente lève 30 M$, le plafond est de 10 M$, mais après un an tout le monde s’accorde à dire que le projet est un flop. Dans ce cas, le prix essaiera de passer en-dessous du plancher de 0.01 ETH, et le market maker perdra la totalité de son argent en tentant de maintenir le prix plancher, et l’équipe aura donc seulement 10 M$ pour travailler. Comme second cas, supposez que la vente lève 30 M$, le plafond est de 10 M$, et après deux ans tout le monde est heureux quant à ce projet. Dans ce cas, le market maker n’aura pas été sollicité, et l’équipe aura accès à la totalité des 30 M$.
Une proposition connexe est celle de Vlad Zamfir : “safe token sale mechanism“. Le concept est très large et pourrait être paramétré de nombreuses façons, mais l’une d’entre elles est de vendre les tokens à un prix plafond puis d’avoir un prix légèrement inférieur à ce plafond, et de permettre alors aux deux de diverger au cours du temps, libérant du capital pour le développement au cours du temps si le prix se maintient.
Sans doute, aucun des trois propositions ci-dessus n’est suffisante; nous voulons des ventes réparties sur une période encore plus longue, nous donnant beaucoup plus de temps pour voir quelles équipes de développement sont les plus intéressantes avant de leur libérer la majeure partie du capital. Mais néanmoins, cela semble être la direction la plus productive à explorer.
Sortir des dilemmes
À partir de ce qui précède, il devrait être clair que bien qu’il n’y ait aucun moyen de contrer les dilemmes ci-dessus, il existe des façons de repousser les limites en pensant de façon créative et en faisant des compromis autour de variables qui ne sont pas apparentes lorsque l’on a un point de vue simpliste sur le problème. Nous pouvons faire un léger compromis sur la garantie de participation, réduisant l’impact en utilisant le temps comme troisième dimension : si vous n’avez pas pu rentrer lors du tour N, vous pouvez juste attendre jusqu’au tour N+1 qui sera dans une semaine où le prix ne sera pas si différent.
Nous pouvons avoir une vente qui est globalement non-plafonnée, mais consistant en un nombre variable de périodes, où la vente durant chacune est plafonnée; de cette façon les équipes ne seront pas en train de demander de grosses quantités d’argent sans prouver leur capacité à appréhender des tours d’investissements plus petits d’abord. Nous pouvons vendre de petites portions de la provision du token à un instant donné, supprimant l’incertitude politique que cela engendre en plaçant le surplus dans un contrat qui continue de vendre selon une formule pré-spécifiée.
Voici quelques mécanismes possibles qui suivent l’esprit des idées ci-dessus :
- Organisez des enchères inversées à la Gnosis avec un plafond bas (disons 1 M$). Si les enchères vendent moins de 100% de la provision du token, placez automatiquement les fonds restants dans une autre vente aux enchères deux mois plus tard avec un plafond 30% supérieur. Répétez jusqu’à ce que la totalité des tokens soit vendue.
- Vendez un nombre illimité de tokens à un prix de X$ et placez 90% de la provision dans un smart-contract garantissant un prix plancher de 0.9*X. Le prix plafond tend vers l’infini de façon hyperbolique, et le prix plancher tend vers zéro de façon linéaire sur une période de 5 ans.
- Faites exactement comme AngelShares, mais étendez la période à 5 ans plutôt que quelques mois.
- Organisez des enchères inversées à la Gnosis. Si la vente aux enchères collecte moins de 100% de la provision du token, placez les fonds restants chez un market maker[6] automatisé qui tente d’assurer la stabilité des prix du jeton (notez que, si le prix continue à augmenter de toute façon, le market maker vendrait des jetons et certains de ces gains pourraient être donnés à l’équipe de développement).
- Placez immédiatement tous les jetons chez un market maker avec des paramètres + les variables X (prix minimum), s (fraction des tokens déjà vendus), t (temps écoulé depuis le début de la vente), T (durée prévue de la vente, disons 5 ans), qui vend les tokens à un prix de k / (t/T – s) (cette méthode-là est un peu bizarre et devrait être plus étudiée économiquement).
Notez qu’il existe d’autres mécanismes qui devraient être testés afin de résoudre d’autres problèmes relatifs aux ventes de jetons; par exemple, des revenus entrant dans un portefeuille multi-signatures de gestionnaires, qui ne distribue les fonds que si des étapes importantes ont été atteintes, est une idée très intéressante qui devrait être plus utilisée. Toutefois, l’espace de conception est hautement multidimensionnel, et il y a beaucoup plus de choses qui peuvent être tentées.
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